GEORGES BRASSENS
     
 


A l'ombre du coeur de ma mie

A l'ombre du coeur de ma mie
Un oiseau s'était endormi
Un jour qu'elle faisait semblant
D'être la Belle au bois dormant

Et moi, me mettant à genoux
Bonnes fées, sauvegardez-nous
Sur ce coeur j'ai voulu poser
Une manière de baiser

Alors cet oiseau de malheur
Se mit à crier " Au voleur "
" Au voleur " et " A l'assassin "
Comm' si j'en voulais à son sein

Aux appels de cet étourneau
Grand branle-bas dans Landerneau
Tout le monde et son père accourt
Aussitôt lui porter secours

Tant de rumeurs, de grondements
Ont fait peur aux enchantements
Et la belle désabusée
Ferma son coeur à mon baiser

Et c'est depuis ce temps, ma soeur
Que je suis devenu chasseur
Que mon arbalète à la main
Je cours les bois et les chemins


Bécassine

Un champ de blé prenait racine
Sous la coiffe de Bécassine,
Ceux qui cherchaient la toison d'or
Ailleurs avaient bigrement tort.
Tous les seigneurs du voisinage,
Les gros bonnets, grands personnages,
Rêvaient de joindre à leur blason
Une boucle de sa toison.
Un champ de blé prenait racine
Sous la coiffe de Bécassine.

C'est une espèce de robin,
N'ayant pas l'ombre d'un lopin,
Qu'elle laissa pendre, vainqueur,
Au bout de ses accroche-coeurs.
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Des blés d'or en toute saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas.

Au fond des yeux de Bécassine
Deux pervenches prenaient racine,
Si belles que Sémiramis
Ne s'en est jamais bien remis'.
Et les grands noms à majuscules,
Les Cupidons à particules
Auraient cédé tous leurs acquêts
En échange de ce bouquet.
Au fond des yeux de Bécassine
Deux pervenches prenaient racine.

C'est une espèce de gredin,
N'ayant pas l'ombre d'un jardin,
Un soupirant de rien du tout
Qui lui fit faire les yeux doux.
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Des fleurs bleu's en toute saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas.

A sa bouche, deux belles guignes,
Deux cerises tout à fait dignes,
Tout à fait dignes du panier
De madame de Sévigné.
Les hobereaux, les gentillâtres,
Tombés tous fous d'elle, idolâtres,
Auraient bien mis leur bourse à plat
Pour s'offrir ces deux guignes-là,
Tout à fait dignes du panier
De madame de Sévigné.

C'est une espèce d'étranger,
N'ayant pas l'ombre d'un verger,
Qui fit s'ouvrir, qui étrenna
Ses joli's lèvres incarnat.
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Du temps des ceris's en tout' saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas.

C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Du temps des ceris's en tout' saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas


Chanson pour l'Auvergnat

Elle est à toi cette chanson
Toi l'Auvergnat qui sans façon
M'as donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid
Toi qui m'as donné du feu quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
M'avaient fermé la porte au nez
Ce n'était rien qu'un feu de bois
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manièr' d'un feu de joie

Toi l'Auvergnat quand tu mourras
Quand le croqu'mort t'emportera
Qu'il te conduise à travers ciel
Au père éternel

Elle est à toi cette chanson
Toi l'hôtesse qui sans façon
M'as donné quatre bouts de pain
Quand dans ma vie il faisait faim
Toi qui m'ouvris ta huche quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
S'amusaient à me voir jeûner
Ce n'était rien qu'un peu de pain
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manièr' d'un grand festin

Toi l'hôtesse quand tu mourras
Quand le croqu'mort t'emportera
Qu'il te conduise à travers ciel
Au père éternel

Elle est à toi cette chanson
Toi l'étranger qui sans façon
D'un air malheureux m'as souri
Lorsque les gendarmes m'ont pris
Toi qui n'as pas applaudi quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
Riaient de me voir emmener
Ce n'était rien qu'un peu de miel
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manièr' d'un grand soleil

Toi l'étranger quand tu mourras
Quand le croqu'mort t'emportera
Qu'il te conduise à travers ciel
Au père éternel


Colombine (poème de Paul Verlaine)

Léandre le sot,
Pierrot qui d'un saut
De puce
Franchit le buisson,
Cassandre sous son
Capuce,

Arlequin aussi,
Cet aigrefin si
Fantasque,
Aux costumes fous,
Les yeux luisant sous
Son masque,

Do, mi, sol, mi, fa,
Tout ce monde va,
Rit, chante
Et danse devant
Une frêle enfant
Méchante

Dont les yeux pervers
Comme les yeux verts
Des chattes
Gardent ses appas
Et disent :
"A bas Les pattes !"

L'implacable enfant,
Preste et relevant
Ses jupes,
La rose au chapeau,
Conduit son troupeau
De dupes !


La balade des gens qui sont nés quelque part

C'est vrai qu'ils sont plaisants tous ces petits villages
Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités
Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages
Ils n'ont qu'un seul point faible et c'est être habités
Et c'est être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts
La race des chauvins, des porteurs de cocardes
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Maudits soient ces enfants de leur mère patrie
Empalés une fois pour toutes sur leur clocher
Qui vous montrent leurs tours leurs musées leur mairie
Vous font voir du pays natal jusqu'à loucher
Qu'ils sortent de Paris ou de Rome ou de Sète
Ou du diable vauvert ou de Zanzibar
Ou même de Montcuq il s'en flattent mazette
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Le sable dans lequel douillettes leurs autruches
Enfouissent la tête on trouve pas plus fin
Quand à l'air qu'ils emploient pour gonfler leurs baudruches
Leurs bulles de savon c'est du souffle divin
Et petit à petit les voilà qui se montent
Le cou jusqu'à penser que le crottin fait par
Les chevaux même en bois rend jaloux tout le monde
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

C'est pas un lieu commun celui de leur connaissance
Ils plaignent de tout coeur les malchanceux
Les petits maladroits qui n'eurent pas la présence
La présence d'esprit de voir le jour chez eux
Quand sonne le tocsin sur leur bonheur précaire
Contre les étrangers tous plus ou moins barbares
Ils sortent de leur trou pour mourir à la guerre
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Mon dieu qu'il ferait bon sur la terre des hommes
Si on y rencontrait cette race incongrue
Cette race importune et qui partout foisonne
La race des gens du terroir des gens du cru
Que la vie serait belle en toutes circonstances
Si vous n'aviez tiré du néant tous ces jobards
Preuve peut-être bien de votre inexistence
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part


Si seulement elle était jolie

Si seulement elle était jolie
Je dirais: "tout n'est pas perdu.
Elle est folle, c'est entendu,
Mais quelle beauté accomplie!"
Hélas elle est plus laide bientôt
Que les sept péchés capitaux. {2x}

Si seulement elle avait des formes,
Je dirais: "tout n'est pas perdu,
Elle est moche c'est entendu,
Mais c'est Venus copie conforme."
Malheureusement, c'est désolant,
C'est le vrai squelette ambulant. {2x}

Si seulement elle était gentille,
Je dirais: "tout n'est pas perdu,
Elle est plate c'est entendu,
mais c'est la meilleure des filles."
Malheureusement c'est un chameau,
Un succube, tranchons le mot. {2x}

Si elle était intelligente,
Je dirais: "tout n'est pas perdu,
Elle est vache, c'est entendu,
Mais c'est une femme savante."
Malheureusement elle est très bête
Et tout à fait analphabète. {2x}

Si seulement l'était cuisinière,
Je dirais: "tout n'est pas perdu,
Elle est sotte, c'est entendu,
Mais quelle artiste culinaire!"
Malheureusement sa chère m'a
Pour toujours gâté l'estomac. {2x}

Si seulement elle était fidèle,
Je dirais :"tout n'est pas perdu,
Elle m'empoisonne, c'est entendu,
Mais c'est une épouse modèle."
Malheureusement elle est, papa,
Folle d'un cul qu'elle n'a pas! {2x}

Si seulement l'était moribonde,
Je dirais: "tout n'est pas perdu,
Elle me trompe c'est entendu,
Mais elle va quitter le monde."
Malheureusement jamais elle tousse:
Elle nous enterrera tous. {2x}

 
     

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